mardi 12 octobre 2010

Les rafles "légales" au Mexique

Samedi 28 août 2010, aux alentours de minuit, dans le quartier de San Felipe, Soledad de Graciano Sanchez, San Luis Potosi, Mexico.

C’est mon dernier samedi soir au Mexique. Avec Antsa, un ami français venu réaliser un documentaire vidéo, et Edgar, un voisin, nous décidons d’aller dans le quartier voisin pour acheter une Michelada, une bière un peu spéciale, pour fêter notre départ.

Après vingt minutes de marche, nous consommons une boisson sur place et nous décidons d’en emmener une autre pour la boire au quartier.

Nous repartons à pied vers la maison. Nous traversons une route, quand en contrebas de celle-ci, un pick-up de la Police Municipale de Soledad s’arrête et 4 policiers se dirigent vers nous en courant. Je ne m’inquiète pas, car je pensais être en règle. Ils nous dégagent violemment nos boissons et nous emmènent de force vers le pick-up. Notre délit : boire de l’alcool sur la voie publique…

Je discute un peu avec les policiers, leur expliquant qui je suis, mon projet. Ils avaient entendu parler de moi car mon projet se réalisait dans le même quartier que leur poste de police.

Nous partons en pick-up. Je pensais qu’ils nous emmèneraient directement à Pavon, mais pendant une heure, nous poursuivons des arrestations de masse violentes avec d’autres unités de forces de l’ordre. Des jeunes à pied qui rentraient chez eux, d’autres jeunes regroupés dans un coin de rue pour boire et fumer. Arrestations musclées : coups de poing, coups de pied, matraques. Avec nous trois, les policiers restent tranquilles (physiquement, car nous avons été insultés et humiliés).

Vers 1h du matin, nous arrivons à Pavon dans le nouveau centre de police. Nous attendons de nous faire enregistrer. On nous promet que cela ne durera pas longtemps et qu’on nous libèrera très bientôt.

Lors de l’enregistrement, on me demande 300 pesos pour sortir. Je n’avais pas d’argent sur moi. On me demande si je veux passer un coup de fil. Un peu sonné, je réponds ne pas savoir qui appeler. On nous enferme tous les trois dans une cellule de 20 mètres-carrés où 8 autres jeunes étaient présents. En jetant un coup d’œil sur la liste des détenus, la moyenne d’âge est entre 20 et 25 ans.

Je demande à parler avec le chef du poste de police, mais on ne m’écoute pas. Des dizaines de jeunes arrivent par vagues pour se faire enfermer. Bientôt, nous nous retrouvons à 80 dans cette petite cellule, entassés comme du bétail. Certains, par chance, sont assis, le plus grand nombre n’a pas d’autre choix que de se tenir debout, les moins bien placés doivent rester debout dans les « toilettes », les pieds dans l’urine.

Les 4 cellules du poste se remplissent à une allure incroyable. Les détenus commencent à insulter les policiers, débordés par tant de personnes à enregistrer.

Vers 4h du matin, nous voyons passer des hommes cagoulés vêtus de bleu et de gris. Aucune insigne officielle du gouvernement mexicain, mais de grosses armes... Le mot « Zetas » circule dans la cellule. Un homme en chemise et aux bottes en peau de crocodile tenait une grande planche de bois épaisse. Pour calmer les débordements des détenus (insultes du type « putain de porcs », « putains de flics corrompus »,…), ils prennent au hasard un ou deux jeunes dans chaque cellule.

Grand silence… On entend au loin les cris des détenus qui se font frapper violemment sur les fesses avec la grosse matraque de bois. Nous les voyons revenir en pleurs…

Je demande régulièrement à parler avec un supérieur. On me répond « bientôt », le plus souvent on m’ignore ou on me rit au nez. N’ayant aucun moyen pour négocier, nous partons pour une garde à vue de 24 heures, soit jusqu’à une heure du matin le jour suivant. Antsa lui doit partir à 5h30 ce même jour pour la France et nous avions prévu de faire la tournée des quartiers pour dire au revoir…

Vers 7h, Antsa découvre qu’il est en possession d’un billet de 200 pesos. Nous appelons un garde. Il me laisse sortir pour aller négocier avec le juge. J’ai la permission d’aller chercher le reste de l’argent pour libérer mes amis. Il est près de 8h quand nous rentrons chez nous en payant par personne une amende de 20 euros.

J’ai maintenant réellement compris que le Mexique est une narcocrature. C’est le cartel des Zetas qui dirige San Luis. La police travaille pour eux, le maire également. Tous les jours, la police arrête arbitrairement des jeunes, parfois en détention de produits « illicites » (vendus par ces mêmes personnes) pour récupérer l’argent de la caution. Un business très juteux…

Dans ces centres de détention, tout peut arriver. Et rien ne peut être fait contre ces personnes qui ont tous les droits, même celui de mettre fin aux jours d’une personne si l’envie lui dit. C’est par exemple le même cartel qui a tué 72 immigrés dans l’état de Tamaulipas à cette même période.

Un message international : si vous voyez la police courir vers vous, courrez ! Ce n’est pas pour assurer votre protection qu’ils s’intéressent à vous, mais pour vous kidnapper et vous faire payer : du vol et une violation des droits de l’Homme. Courrez !

Humiliation, violence verbale et physique, torture, extorsion de fonds, voire disparition, en ayant affaire à la police mexicaine, vous avez de fortes chances de vous adresser à des membres du cartel qui contrôle le territoire où vous êtes. Courrez ! Car une fois détenu, nul ne sait ce qui peut arriver !

1 commentaire:

Mathieu Chessel a dit…

Une aventure de fou qui restera à jamais gravée en vous. Nous sommes au 21 ème siècle et il est de plus en plus difficile de croire en un monde meilleur cependant des choses peuvent être faites localement et ont le mérite, si ce n'est de changer le monde, d'apporter un brin d'espérance. Bravo pour ce travail, à bientôt.